article "le courrier" du 28 avril 2003.

Publié le par Molly Singer

Paru le : 28 avril 2003 « http://www.lecourrier.ch/Selection!sel2003_326.htm »

Face aux mères en fuite qui, venant de l'Hexagone, dénoncent des abus
sexuels sur leur(s) enfant(s), Genève n'a pas du tout eu la même attitude que le canton de Vaud.

La justice genevoise n'a tenu aucun compte de l'intérêt des enfants

Un manque de coordination entre les autorités politiques, sociales et judiciaires a eu pour effet qu'une fille de 6 ans et un garçon de 9 ans ont été séparés de leur mère et renvoyés à proximité de leur père, dont ils disent avoir été abusés, mais qui a été blanchi par la justice française. La conseillère d'Etat Micheline Spoerri déplore l'issue d'une affaire traitée entre pouvoirs et non entre êtres humains.
        SARAH LACHAT
Deux enfants qui affirment être victimes d'abus sexuels de la part de leur père, séparés de leur mère et envoyés dans un foyer en France sans être entendus par la justice genevoise.
Une éducatrice de la Protection de la jeunesse, mise sur la touche et actuellement sous le coup d'une enquête administrative et pénale.
Une avocate vaudoise qui intervient pour obtenir un arrangement en règle entre une maman clandestine et une justice suspicieuse, qui se sent finalement trompée.
Enfin, une mère condamnée à trois mois de prison ferme en France sans plus aucun moyen de se défendre.
Tel est le résultat d'un manque total de coordination entre les instances genevoises et une démarche juridique biaisée dès le départ.

Rappel des faits: Mme S*****, ressortissante française, arrive à Genève en février 2002 avec ses deux enfants, une fille de 6 ans et un garçon de 9.
Elle fuit le verdict des tribunaux français qui ont conclu au non lieu dans la plainte déposée contre son ex-mari pour abus sexuels et ordonné le placement des enfants dans un foyer de la DDASS (En France, Direction départementale des affaires sanitaires et sociales).
Comme dans de nombreux cas similaires (lire ci-contre), cette mère n'avait pu se résoudre à accepter la sentence des cours françaises et, dans le but de protéger ses enfants de nouveaux abus, n'avait trouvé d'autre solution que de s'enfuir avec eux, se mettant par là même en infraction pour non-présentation d'enfants à la justice, non respect du droit de visite du père et enlèvement d'enfants.

Accueillie à Genève par "Armée du Salut qui informe immédiatement le Département de justice, police et sécurité (DJPS), la famille est alors prise en charge au Cœur des Grottes alarmée par la situation et inquiète des allégations de pédophilie, la Cheffe du DJPS;Miéheline Spoerri, fait auditionner les enfants par la police. Tous deux décrivent durant plus d'une demi-heure, en l'absence de leur mère, les abus dont ils ont été victimes. Leur témoignage est enregistré sur cassette vidéo. Le petit garçon dira par exemple que son «papa a mis sa zézette dans son trou d'balle pendant que maman cherchait du travail à Paris.
Il nous a dit que c'est un jeu.
Faute d'alternatives connues, Micheline Spoerri encourage Mme S***** à déposer une demande d'asile: «Cette situation des mères étrangères fuyant des décisions de justice était nouvelle pour nous, contrairement au canton de Vaud par exemple qui accumulait les cas. Sans savoir vraiment quels étaient nos moyens d'agir, nous avons pensé que la voie de l'asile pourrait offrir un peu de répit et sérénité aux enfants et à leur mère», explique-t-elle.

La requête est déposée le 27 mars 2002 au centre d'enregistrement de Vallorbe, qui désigne le canton de Genève comme résidence provisoire. Les enfants sont alors normalement scolarisés à l'école primaire genevoise
Ils sont également suivis par un pédopsychiatre du service de psychiatrie de «Hôpital des Enfants qui confirme leur traumatisme et «leur besoin vital d’être entendus et crus»

Parallèlement aux démarches administratives liées à l'asile, le DJPS informe le Ministère public des accusations de pédophilie liées à cette affaire.
Or, lorsque l'Office fédéral des réfugiés (ODR) refuse l'asile en juillet 2002, car la famille n'est pas «persécutée» en France et ne peut donc obtenir la qualité de réfugié, la justice genevoise se saisit de l'affaire d'une manière plus que précautionneuse.

En effet, alors qu'un recours est interjeté contre cette décision et suspend le délai de renvoi, et alors que l'ODR recommande dans son argumentaire de faire appel à l'Office fédéral de la justice (OFJ) pour que celui-ci prenne contact avec son homologue français «afin d'assurer un retour dans des conditions telles que les intérêts des enfants et de la maman soient effectivement protégés, car il est de la plus grande importance de prévenir tout véritable péril que pourraient encourir les enfants si les allégations d'abus sexuels devaient correspondre à la réalité», le Ministère public ne suit pas.

Davantage inquiète de l'insoumission de la mère aux autorités françaises que d'un danger éventuel d'abus sexuel encouru par les enfants, la procureure Mireille George signale le 19 juillet au Tribunal tutélaire que «Mme S***** est venue en Suisse dans le but d'y demander l'asile afin de se soustraire à une décision de justice statuant sur le retrait des ses droits parentaux et le placement à la DASS» et qu'il conviendrait dès lors que les enfants soient pourvus d'un curateur de représentation qui fasse respecter les jugements françaises.

A cet effet, la juge qui se saisit du dossier au sein du Tribunal tutélaire, Fabienne Proz-Jeanneret, réclame un rapport d'évaluation à la Protection de la jeunesse (PdJ), «sous l'angle de la protection des enfants», à comprendre, qui pourraient avoir des intérêts divergents de ceux de leur mère. Pour sa part, Mireille George précise le 28 août qu'«aucune procédure pénale n'est en cours concernant des actes de pédophilie qu'auraient subis les enfants et que rien ne permet donc de retenir la compétences des autorités suisses et genevoises pour des actes commis en France, par des auteurs français, sur des enfants français»

Elle ajoute que les auditions des enfants par la police genevoise «ne seraient en aucun cas retenues dans une procédure, puisqu'elles n'ont pas été effectuées à la demande du Parquet.

Le rapport de la PdJ, rédigé par l'éducatrice spécialisée Sandrine S*, est rendu mi-octobre.
Ce texte, qu'elle n'a pas pu nous transmettre, mais que nous avons pu nous procurer, se base d'abord sur l'opinion de la pédopsychiatre qui suit les enfants à raison d'une consultation chaque quinze jours depuis leur arrivée en Suisse, qui a recueilli leur témoignage sur les abus sexuels et qui atteste que tous deux expriment une crainte de revoir leur père.

Elle signale que des retrouvailles sans encadrement pourraient être traumatisantes, que les enfants s'accrochent à leur nouvelle réalité en Suisse, et recommande qu'ils poursuivent leur scolarité et continuent les consultations dans lesquelles ils se sont pleinement investis.
La pédopsychiatre suggère une expertise concernant les allégations d'abus mais affirme que, quoiqu'il en soit, un contact avec leur mère est indispensable vu leur jeune âge.

Sandrine S* mentionne ensuite l'enregistrement vidéo effectué par la brigade des mineurs, qu'elle a également visionné et qui lui paraît déterminant.

Enfin, se basant sur le suivi qu'elle a assuré elle-même auprès de la petite famille, elle confirme que Mme S***** n'agit pas de manière impulsive mais bien dans l'intérêt de ses enfants et qu'«il n'apparaît pas nécessaire que des mesures de protection urgentes par rapport à leur mère ne soit prises».

Elle préavise toutefois qu'un curateur soit nommé «aux fins de les protéger de toute situation qui mettrait en danger leur intégrité et aux fins de leur garantir une écoute privilégiée»

L'éducatrice s'interroge sur le risque que les enfants encourront d'être abusés en les renvoyant en France.
Pourtant, malgré le rapport de la Protection de la jeunesse, malgré les recommandations de la pédopsychiatre, malgré l'audition de la brigade des mineurs et la parole des enfants eux-mêmes, la juge Proz-Jeanneret ordonne le 23 octobre la nomination d'un curateur «en vue de protéger les enfants du parent qui ne serait pas capable d'assurer leur protection».

Tout en rappelant que le Tribunal n'est pas compétent pour entrer en matière sur le fond concernant les abus sexuels en vertu du principe de la souveraineté des Etats, elle affirme:
«Compte tenu du fait que la mère a déplacé ses enfants illégalement et les prive de tout contact avec leur père, elle se trouve manifestement en conflit d'intérêts avec eux.»

La juge conclut qu'au vu de cette divergence d'intérêts et dans la mesure où la décision de renvoi de l'ODR peut tomber d'un moment à l'autre, il est impératif «que le curateur s'assure de la prise en charge «sans délai» des enfants et organise leur rapatriement en France si la mère est expulsée».
La curatelle est alors confiée au service du Tuteur général, qui selon l'ordonnance, mande le 5 novembre deux représentants et deux officiers de police pour «prendre en charge» les enfants.

Ils se rendent au foyer de requérants des Eaux Vives où est installée la famille S*****.
Ils sont reçus par la mère mais les enfants ne s'y trouvent pas: ils repartent bredouilles.
«Cette décision nous a beaucoup étonnés, commente Micheline Spoerri.

Alors que nous avons toujours informé le Tribunal des démarches sur le plan administratif et de "asile, cette ordonnance est tombée comme un couperet, sans aucune prise de contact ni échange d'information…

Le délai de renvoi n'avait pas été fixé par "ODR, il n'y avait donc aucune urgence.
Nous avions donc toute la latitude pour déterminer ensemble, peut-être en coopération avec l'Office fédéral de la justice, quelle était la meilleure attitude à adopter pour protéger ces enfants.»

L'affaire prend alors une très mauvaise tournure ...
La mère s'enfuit avec ses enfants et passe dans la clandestinité, alimentant la thèse du Tribunal. Sandrine S*, l'éducatrice de la PdJ, est par ailleurs accusée d'avoir avisé la mère de la décision du Tribunal et du placement imminent des enfants, en violation du secret de fonction: sur ordre de Mireille George, la police vient l'arrêter à son bureau, devant ses collègues consternés, ce qui provoquera un véritable soulèvement au sein de la PdJ, avec un mouvement de grève qui fait la une des journaux.

C'est dans le canton de Vaud que Mme S***** trouve refuge, encadrée par une avocate, Laure Chappaz, très au fait de cas similaires de mères françaises en fuite.
Celle-ci formule immédiatement une opposition à l'ordonnance du Tribunal le 14 novembre.
Me Chappaz organise ensuite une comparution de sa cliente devant la justice genevoise de manière à trouver une solution légale à la situation.
Participent à l'entretien la juge Proz Jeanneret, le Tuteur général, et le Directeur adjoint de la PdJ.

A l'issue de la réunion, il est convenu que Mme S***** et Me Chappaz renoncent à s'opposer à la nomination d'un curateur ordonnée le 23 octobre, en échange d'un délai qui permettrait à "avocate d'obtenir le transfert du dossier sur le canton de Vaud, qui coopère déjà avec l'Office fédéral de la justice en la matière (lire ci-dessous).
La recherche des enfants par la police est donc suspendue.
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Si le transfert du dossier est accepté, la famille sera admise la semaine suivante dans un foyer sur Vaud
Sans cela, mère et enfants seront placés au Foyer l'Etape à Genève, en vue d'interpeller depuis la ville du bout du lac l'Office fédéral de la justice qui interviendrait auprès de la France.

Mais par un étrange retournement de situation, qui serait lié à un comportement inadéquat de la mère après l'entrevue elle se serait rendue à la brigade des mineurs en affirmant être suivie et être en danger, aurait tenu des propos incohérents et aurait été hospitalisée quelques heures en conséquence, le même jour, Fabienne Proz-Jeanneret et Mireille George demandent par téléphone à Laure Chappaz de ramener les enfants à Genève.

Craignant, selon le récit des deux magistrates, que sa cliente n'ait en effet perdu la tête, et confiante dans la collaboration avec la justice genevoise, l'avocate s'exécute

Séparés de leur mère, les enfants' sont admis au Foyer l'étape à Genève, accompagnés de leur grand-mère. Mme S***** n'obtient qu'un droit de visite.

Mais, le 4 décembre, contre toute attente, le Tribunal tutélaire ordonne que le curateur organise le retour des enfants en France, sans leur mère, «aux fins de permettre l'exécution des décisions des tribunaux français». L'association Diapason mandatée par la DDASS vient chercher les enfants le 6 décembre.

Ils se retrouvent dans un foyer à Chambéry, près de leur père, qui détient un droit de visite hebdomadaire et les accueille régulièrement sans aucune surveillance.

Découragée et en désespoir de cause, Mme S***** retourne alors en France, perdant du coup toute voie de recours possible.

Elle est inculpée pour non présentation d'enfants: assignée à résidence en Bretagne depuis janvier, à près de 1000 km de son fils et sa fille, elle est condamnée à trois mois de prison ferme.

Elle n'est autorisée à les appeler que deux fois par semaine entre 18 et 19h.
«Jamais je n'aurais amené les enfants à Genève si j'avais imaginé un instant qu'on les renverrait en France aussi rapidement, sans s'assurer des mesures nécessaires à leur protection et à la défense de leur mère», explique Me Chappaz.
«J'étais en contact avec la représentante de l'Office fédéral de la justice pour tenter de relancer la procédure pénale en France concernant les abus sexuels qu'ils avaient dénoncés.

J'étais sûre de pouvoir poursuivre mes démarches pendant qu'ils séjourneraient au foyer genevois.»

Aujourd'hui incapable d'agir puisque sa cliente a quitté la Suisse, elle estime avoir été trompée.
Indignée par la manière expéditive et dangereuse avec laquelle "affaire a été traitée, elle dénonce "irrespect de la justice genevoise envers la parole des enfants et leur protection.

Muselée, l'éducatrice spécialisée de la Protection de la jeunesse est aujourd’hui sous le coup d'une enquête administrative et pénale, pour violation du secret de fonction et complicité d'enlèvement d'enfants. Ses collaborateurs attendent le résultat de l'enquête pour connaître notamment le rôle joué par la direction de la PdJ dans le dénouement de cette affaire

«Le juge était tenu d'entendre les enfants»

Dans cette affaire, rien ne justifiait un tel empressement, selon la plupart des intervenants.
Preuve en est la pratique du canton de Vaud dans les affaires similaires qu'il a eues à traiter ou, comme le préconisait déjà l'Office fédéral des réfugiés (ODR), celle de l'Office fédéral de la justice qui trouve le moyen de garantir la protection des enfants sans pour autant déroger au principe de souveraineté des décisions françaises.

Selon ces pratiques et en vertu des Conventions internationales en vigueur, dans les cas d'enfants emmenés hors de leur territoire d'origine, «les autorités du lieu de séjour peuvent prendre, lorsque l'intérêt de l'enfant l'exige, des mesures de protection.
Et même si les autorités cantonales ne prennent pas de mesure, la question du retour des enfants dans les meilleures conditions possibles pourra néanmoins se poser et être examinée, en négociation avec les autorités étrangères.»

1 «RAPATRIEMENT ILLÉGAL»

Pour Me François Membrez, expert en matière de Droits de l'enfant et qui offre un avis de droit sur la question, le Tribunal tutélaire a agi de manière illégale: «En premier lieu, le Tribunal se déclare compétent sur la base de la Convention de La Haye de 1912 alors que c'est un autre texte plus récent qui prévaut.
Or ce texte attribue la compétence à l'autorité centrale en matière d'enlèvement international d'enfants, soit l'Office fédéral de la justice.
Ensuite, la juge utilise l'article 9 de la Convention inappropriée, normalement destinée à protéger les enfants, pour agir à fin contraire puisqu'elle nomme un curateur chargé d'organiser leur rapatriement.»

Enfin, explique l'expert, la Convention de La Haye de 1980 qu'il fallait utiliser, tout comme la Convention sur les droits de l'enfant qui s'applique également, stipulent que «le juge est tenu d'entendre les enfants et de tenir compte de leurs motifs», ce que le tribunal n'a pas fait «Sans les entendre, la juge devait pour le moins tenir compte de l'enregistrement vidéo réalisé par la police, du rapport de la Protection de la jeunesse et de celui de la pédopsychiatre.» Me François Membrez relève aussi l'irrégularité du rapatriement:
«La procédure est illégale puisque c'est l'association «Diapason», mandatée par la Direction départementale des actions sanitaires et sociales, qui vient chercher les enfants à Genève et les sort en fraude du pays, alors qu'ils auraient dû être remis par les autorités suisses aux autorités françaises.»

MIS DEVANT LE FAIT ACCOMPLI

Pourquoi alors, face à de tels dysfonctionnement, la Cheffe du Département concerné, qui s'était pourtant montrée prompte à soutenir Mme S***** à son arrivée en Suisse, n'est-elle pas intervenue?

«Je n'ai pas pu», explique Micheline Spoerri, convaincue que «tout aurait dû se passer autrement».

Selon elle, le département n'a pas été informé des décisions de la justice sur le moment:
«Ensuite, l'ordonnance du Tribunal tutélaire et ses effets ont empêché que nous entreprenions des démarches de notre côté, avec l'Office fédéral de la justice par exemple.

Nous avions pourtant le temps de réfléchir, puisque le délai de renvoi de l'ODR a finalement été fixé à mi-janvier. Nous avions d'ailleurs réclamé une réunion à Mireille George pour déterminer les mesures à prendre
Mais nous n'avons jamais eu de retour ... Si ce n'est le fait accompli.»
Interpellée à plusieurs reprises par l'association «Terre des Enfants» par la suite, la conseillère d'Etat regrette son «manque de volontarisme» et estime qu'elle était «prisonnière de la séparation des pouvoirs»:
«Malheureusement, il s'agissait d'une affaire à gérer non pas entre pouvoirs distincts, mais entre êtres humains qui coopèrent.»

Du côté de la justice, Mireille George refuse de répondre et affirme que, de toute façon, elle n'y est pour rien, «puisque sans enquête pénale en Suisse, ce n'est pas le Ministère public qui est impliqué mais le Tribunal tutélaire». Elle ajoute néanmoins qu'elle «utilisera les moyens à sa disposition pour se faire entendre si besoin»

Fabienne Proz-Jeanneret, quant à elle, refuse également de se prononcer, mais cette fois en raison du secret de fonction. Elle fait seulement référence «aux jugements français liés à cette affaire ...
Pour notre édification».
Ces jugements, une centaine de pages, contiennent en effet l'avis de plusieurs cours, médecins et travailleurs sociaux français qui mettent en doute la parole des enfants et accusent la mère de manipulation.

Mais, au vu des dysfonctionnements régulièrement dénoncés de la justice française en la matière, et au vu des règles de droit international applicables, est-ce suffisant pour justifier les décisions prises à Genève? SU

1 Avis de Nicoletta Rusca-Clerc, Office Fédéral de la justice.
2Convention de La Haye de 1961 sur la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs.
3Convention de La Haye de 1980 sur les aspects civils de I’enlèvement international d'enfant.


Le canton de Vaud s'implique

Confronté l'an passé à une véritable déferlante de ces mères françaises en fuite (dix cas simultanés), et également dans l'incertitude, au départ, quant à la meilleure manière de réagir, l'Etat de Vaud a opté pour une attitude plus engagée en insistant en particulier sur la coordination.

Une cellule spéciale incluant assistants sociaux, juristes, représentants de la Protection de la jeunesse et personnes chargées de l'asile a été constituée.
A quoi s'est ajoutée la participation d'un représentant de l'Office fédéral de la justice (OFJ), habilité à négocier avec les autorités françaises.

Cette cellule a ainsi pu traiter les cas de mères en fuite accueillies dans le canton de Vaud de manière très adéquate, accordant le crédit nécessaire à la parole des enfants et ordonnant, le cas échéant, de nouvelles expertises approfondies qui permettent de se positionner.
Quelque soit le résultat des expertises, la finalité des démarches est de garantir les intérêts des enfants qui parfois ont été instrumentalisés par la mère, parfois réellement abusés par le père, mais qui toujours ont souffert et méritent des mesures d'encadrement et de protection.

Dans cette perspective et toujours en collaboration avec des avocats vaudois qui défendent ces mères en fuite, l'OFJ a pu entamé des négociations sérieuses au niveau de la Chancellerie française pour, soit obtenir la réouverture de certains dossiers, soit organiser le retour des enfants en France dans les meilleures conditions.

Actuellement, le Comité international pour la dignité de l'enfant à Lausanne estime à une trentaine le nombre de mères en fuite séjournant en Suisse, et à une cinquantaine le nombre d'enfants les accompagnant.
La plupart de ces mères sont clandestines, faute d'avoir trouvé un moyen légal de faire reconnaître leur situation. Soutenues par des associations, elles tentent de survivre alors qu'elles ont tout quitté en France, et où elles sont désormais condamnées à la prison ferme pour non-présentation des enfants.

De nombreuses associations se sont mobilisées pour soutenir ces femmes et leurs enfants en France comme en Suisse.

Dans le canton de Vaud, hormis le CIDE (comité international pour la dignité de l'enfant) qui a beaucoup fait parler de lui déjà dans ces affaires, une cinquantaine d'élus cantonaux et nationaux ont constitué «l'Association de soutien aux enfants et mères en fuite» (www.meresenfuite.ch). avec l'intention d'amener le débat au niveau du Parlement fédéral.
A Genève, «Terre des Enfants», fondée par Geneviève Piret, se bat pour Mme S***** et ses enfants, comme pour toutes les victimes d'abus sexuels. SU

Le Rapporteur de l'ONU met en cause la France

De nombreux dysfonctionnements au sein de la justice française dans les dossiers concernant les abus sexuels et la pédophilie sont de plus en plus massivement dénoncés.
Outre les mères (et parfois les pères) qui se battent contre ces dérives judiciaires, de nombreux professionnels de la santé impliqués, des avocats et des associations se mobilisent pour tenter de faire respecter la parole des enfants.

Parmi eux, une pédopsychiatre évoque une incrédulité systématique envers les enfants: «Alors qu'il y a 10 ans on pariait de «révélations» par l'enfant concernant les abus et la pédophilie, aujourd'hui on parle «d'allégations».
Le doute est d'autant plus fort chez de jeunes victimes, que l'on ne peut interroger comme des adultes. Les juges non formés sont incapables de percevoir les traumatismes liés aux sévices, qui ne laissent souvent que peu de traces physiques, et du coup, préfèrent ne pas y croire.»

PENSÉE DOMINANTE

Quant aux experts qui examinent les enfants qui se disent victimes d'abus, ils sont, aux dires de nombreuses associations et de professionnels, soumis à une pensée dominante imposée par certains psychologues en vue qui estiment que 30% des témoignages d'enfants sont faux et sont le fruit de fabulations ou de l'influence de la mère.
De récentes études américaines ont pourtant montré qu'au contraire, seuls 2 à 8% des enfants mentent dans les cas de pédophilie.

Un constat que corrobore tout à fait le Rapporteur spécial de l'ONU en matière de prostitution, de vente et de pornographie impliquant des enfants, Juan Miguel Petit.
Le Rapporteur s'est rendu en mission en France en novembre dernier précisément pour évaluer la situation. Dans sa «note préliminaire» 1 présentée en Commission des droits de l'homme à Genève en avril dernier, il constate en effet que «de nombreuses personnes ayant une responsabilité dans la protection des droits de l'enfant, en particulier dans le domaine judiciaire, continuent de nier l'existence et l'ampleur de ce phénomène.»
Toujours selon cette note, «le manque de ressources, de formation et de spécialisation dont souffrent les juges et les avocats font que les droits des enfants impliqués sont souvent mal protégés et que ces derniers risquent de continuer à subir les sévices».

DROIT GARANTI

Le Rapporteur relève également que les personnes signalant les cas d'abus sexuels «sont souvent accusées de mentir et font l'objet de sanctions administratives pour diffamation ou de poursuites pénales».
Il interpelle donc l'Ordre des médecins français pour qu'il révise ses procédures envers ses membres.
Certains médecins français ont en effet été blâmés par l'Ordre pour avoir signalé des cas réfutés par la justice.
D'autres sont même sous le coup de plaintes pénales déposées par des parents blanchis.
Cette situation découle des lacunes de la législation française, qui laisse possibilité aux professionnels de signaler des cas d'abus, mais sans les y obliger, et surtout, sans leur garantir l'immunité si l'abus ne peut être prouvé.

Une pétition à d'ailleurs été lancée dans le but de la modifier car, outre les conséquences pour les professionnels, cette loi aggrave la situation des victimes et «trop de médecins choisissent alors de se taire, laissant les enfants dénoncer eux-mêmes les abus une fois leur majorité atteinte, au risque que les sévices se poursuivent jusque là»

Rappelant que le droit d'être entendu est garanti par la Convention des droits de l'enfant, le Rapporteur spécial de l'ONU s'est adressé à la France en réclamant la création d'un organe indépendant qui puisse mener «de toute urgence» une enquête sur la situation actuelle. Ce à quoi la France semble avoir répondu il y a peu. SU

1 Note préliminaire sur la mission en France (25 au 29 novembre 2002), présentée par Juan Miguel Petit, Rapporteur spécial de l'ONU sur la vente, la prostitution et la pornographie impliquant des enfants, conformément à la résolution 2000/92 de la Commission des droits de l'homme

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